Point Net Chers, les gentils petits mensonges
Il habite au Champ de Manœuvre et travaille à Bir Mourad Raïs, «Birmou pour les autochtones et ceux qui rêvent de le devenir». Mourad n'a pas de lien connu avec le Raïs, d'abord parce que c'est la réalité, ensuite, ensuite parce que ce n'est pas par le prénom que se font les descendances, ce qui fait qu'il ne peut même pas le prétendre. Quand on est né dans les Groupes laïcs, on est un peu fier mais on voudrait quand même en sortir un peu.
Et quand on ne peut pas en sortir pour de vrai, on en sort par le petit mensonge gentil, qui ne fait pas de mal. Prenez Mourad, par exemple, il travaille dans une gargote et quand on travaille dans une gargote, on ne peut pas dire qu'on est de Birmou.
C'est connu, ce sont des emplois réservés à ceux qui viennent d'ailleurs, dans ce quartier comme dans les autres. Alors Mourad dit qu'il bosse pour une entreprise étrangère installée sur l'autoroute, près de Saïd-Hamdine. Jamais en ville, jamais d'endroit, toujours une périphérie toute proche et surtout introuvable. Dans le quartier, il dit seulement qu'il y travaille pour une
société américaine, mais ailleurs, il ajoute que c'est devant chez lui à Birmou. Après tout, ce n'est pas très difficile, il suffit de soigner sa mine et de ne pas être vu dans un bus crasseux. Pour la mine, pas de problème, une tenue «chronique» faite d'un blouson
cuir, un jean Lewis Strauss et des baskets Nike à laver et cirer la nuit au balcon du dixième étage de l'immeuble du Deuxième Groupe. Pour le bus, pas de problème non plus, puisqu'il n'en prend jamais. Il ne «bouge» pas beaucoup. Quand au boulot,
c'est bien évidemment à quelques mètres de «leur villa». Sinon, dans la vraie vie, Mourad a opté depuis longtemps pour le «taxi-places». Quand, par accident, une connaissance l'aperçoit devant la station, il fait toujours semblant d'y attendre quelqu'un. Si c'est «trop flagrant», eh bien, il est en panne aujourd'hui où c'est plus simple que de dénicher un taxi «normal», forcément moins dégradant. Mais ce matin, en descendant du taxi collectif pour rejoindre sa gargote, le chauffeur lui a
dit que c'était trente dinars au lieu de vingt. Alors, il tend sa pièce de cinquante et se met à penser à tout à l'heure. Il ne lui en reste que vingt et il sera obligé de prendre le bus, avec tous les «périls» que ça fait peser sur lui. Il file tout droit vers son patron, lui demande son solde de tous comptes et déménage dans… son quartier, maudissant un pays où on ne peut même pas mentir tranquillement.
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