14-05-2011 | |
Mis en service le 8 mai dernier Un tramway-manège à l'est d'Alger Tout au long du trajet, les gens, attablés à la terrasse d'un café, au volant d'une voiture, dans leurs boutiques ou de passage, ne peuvent s'empêcher de vous regarder passer et de vous suivre du regard. Cinq jours après sa mise en service, le tramway de l'est d'Alger est toujours perçu comme une curiosité. Trop nouveau pour devenir banal, un simple élément du décor urbain. L'émerveillement du public ne risque pas de s'estomper de sitôt. Le tram a, en effet, plusieurs atouts à faire valoir. Il y a d'abord cette incroyable sensation de joie et de bonheur rien qu'en se trouvant à bord. La machine a ce pouvoir magique de rehausser la personne dans sa dignité. On se sent maître de soi pour le simple fait d'ouvrir soi-même la portière pour prendre place sans avoir à la disputer à quelqu'un d'autre, un caprice que personne d'autre n'offre à sa clientèle même la plus fidèle. Pour cela, il suffit d'appuyer sur un bouton ! La tentation est forte. Le circuit est organisé à l'image du mécanisme d'une montre. Tout a été fait pour que deux rames se retrouvent en même temps dans une même station intermédiaire, chacun roulant dans un sens. Mais ils ne se rencontrent que pour mieux se séparer. «Si seulement il allait jusqu'à Alger !», lance une dame accompagnée d'une fillette. «Ça viendra !», réplique un receveur qui s'invite à la discussion. «Je vais au marché de Sorecal…Dans la petite foule, il y a plus d'enfants et de femmes que d'hommes. Comme si quelque part, il est écrit que le tram est réservé aux familles. Les voyageurs s'engouffrent dans la voiture de partout. On est tout de suite saisi par la fraîcheur de la cabine largement vitrée. Les lieux sont propres, aucun signe de dégradation ou de trace de jet de pierres comme on le constate trop souvent sur la coque des trains de la SNTF comme de la gale sur le corps d'un souffrant. Tandis que les familles prennent place tranquillement, un agent de la gare s'adresse au conducteur : «Il reste combien de temps ?» «3 minutes !», lui répond-il. Bonté divine ! Et dire qu'avec les transporteurs par bus, rien ne presse. «Les urgences, c'est à l'hôpital !», rétorquent-ils à l'adresse du premier citoyen qui fait part d'un rendez-vous important qu'il ne doit pas rater. Ils vous font donc attendre pendant des dizaines de minutes jusqu'à ce que le bus fasse «le plein» au bout d'une heure d'impatience, surtout durant le week-end. Là au contraire, le tram vous offre trois petites minutes d'attente en échange de votre calvaire quotidien sur les routes. Les receveurs en tenue réglementaire, l'air épanoui et le sourire aux lèvres, ont juste le temps d'encaisser sur les voyageurs (20 DA par personne). Finies les trois minutes. Le tram s'ébranle. La machine paraît alors plus confortable en mouvement. C'est comme si vous êtes assis sur une chaise volante qui vous transporte selon votre guise et sans la moindre secousse… Les images de ces déchets ménagers et de ces constructions inachevées paraissent alors à vos yeux encore plus agressives que d'ordinaire. Le tram roule lentement, une de ces allures empruntent de romantisme à vous faire oublier vos tracas. Bientôt, il quitte les Bananiers, traverse le pont qui enjambe l'autoroute de l'est et s'approche de Bab Ezzouar. Là, il vous offre d'obtenir votre première revanche sur les embouteillages. Sur les routes, autour du pond et du rond-point qui lui fait face, malgré l'aménagement d'une trémie, les files de voitures sont interminables. Ce décor est quasi-quotidien. Mais contrairement à l'habitude, à bord du tram, vous traversez tranquillement au milieu de centaines de voitures et d'automobilistes qui, intimidés, vous lancent des regards envieux. Après les Bananiers, le train traverse le quartier El Djorf, une procession interminable d'immeubles collectifs à usage d'habitation. La route principale est encore à panser ses blessures. L'installation du chantier du tramway l'a rendue pendant un bon moment difficilement praticable à la circulation ; plusieurs commerces ont dû fermer d'ailleurs. Maintenant, la vie reprend de plus belle et les vendeurs s'attellent à se réinstaller du mieux qu'ils peuvent. Jadis, endroit dangereux à fréquenter surtout la nuit, du fait des agressions répétées, du commerce de psychotropes et de la prostitution, El Djorf respire mieux désormais. Après s'être débarrassé du fameux bidonville El Djazira, la cité récupère ainsi sa façade principale au grand bonheur de la population. Le tram s'aventure encore davantage dans l'intimité de Bab Ezzouar, contourne la cité Rabia Tahar, offre une visite dans un énorme chantier de construction de tours de logements puis mine de rien quitte le centre-ville. En enjambant une deuxième fois l'autoroute de l'Est, dans un autre point, vous avez l'impression de revenir à la case départ : les bâtiments AADL des Bananiers sont devant vous. Mais pas seulement : sur l'autoroute, des milliers de voitures attendent de franchir le barrage de police des Bananiers. Dans la cabine, des sifflements d'indignation se font entendre. Le tram vient donc saluer les habitants de Tribou, passe devant une cité universitaire et s'arrête un peu plus loin aux arrêts de Sorecal, autre grand quartier de Bab Ezzouar, en dehors du centre-ville. Nous sommes ici à mi-chemin du trajet et cela fait exactement 17 minutes que nous avons quitté les Tamaris. Par bus au contraire, c'est un parcours de deux à trois minutes à vol d'oiseau. A Sorecal, la clientèle se renouvelle. Les élèves se font maintenant remarquer. «Je rentre déjeuner», affirme Nassim, pressé. Entre son établissement et son quartier, au chef-lieu de Bordj El Kiffan, c'est une balade de santé. N'empêche, Nassim et ses camarades préfèrent prendre le tram. Beaucoup plus pour satisfaire leur curiosité que de vouloir faire vite. Arrivé devant le siège de l'APC de Bordj El Kiffan, le tram déverse le contenu de ses entrailles dans la nature. Comme à El Djorf, l'axe principal de Fort de l'Eau semble reprendre goût à la vie après une sévère privation qui aura durée près de quatre ans. La population tente de restaurer les façades des bâtiments pour les rendre mois hideuses. Les commerçants font de même. Avant de continuer sa route, le tram se fait narguer par un groupe de badauds qui ont pris position sur les rails. Le conducteur a dû klaxonner pour se faire menaçant. Nullement inquiétés, les enfants tiennent bon, ils ne se sont écartés qu'au moment où la locomotive allait flirter avec leurs corps frêles. C'est clair : les deux parties ont déjà fait connaissance. «Ça commence à devenir une habitude», soupire-t-on. Les petits tirent de cette confrontation un sentiment de victoire qu'ils expriment en cris lancés à tout va. Et tant pis pour les retardataires. Au loin, un enfant voulant être de la partie courrait dans un champ labouré avant de trébucher et demeurer par terre, probablement blessé. Le tram ne l'attend pas. Ça reprend. «Prochaine station terminus !», informe le conducteur. Partout des locaux commerciaux, des supérettes, des salles de fêtes et, de temps en temps, un restaurant ou un café coincés entre un vulcanisateur et un mécanicien au milieu d'un nuage de poussière. Se retrouver là après une balade à bord d'un magnifique engin, c'est comme arracher quelqu'un à son doux rêve. Le retour à la réalité est brutal, violent. Bien sûr :malgré son lancement, le tram demeure en chantier. Tout au long du trajet, des travailleurs sont à la tâche. Dans les principaux carrefours, un système de signalisation a été mis en place en attendant son fonctionnement. Pour l'instant, ce sont les agents de l'Etusa ou des policiers qui régulent la circulation. A la «ferme» Hamoud, il n'existe pas d'escalier permettant de quitter les arrêts ou d'y entrer. Une petite échelle métallique, dont l'utilisation fait peur aux personnes âgées car en ballottement, a été provisoirement installée à cet effet. Au bout de l'échelle, un receveur de bus roulant en direction de Bordj El Bahri vous attend de pied ferme. Il sait que vous avez besoin de lui pour la suite. Heureusement que dans cette partie de la ville, du fait de l'élargissement de voie, la circulation est plus fluide. C'est tout le contraire aux Tamaris. A la sortie des arrêts du tram, les transporteurs se rendant à Alger-Centre vous attendent de l'autre côté de la rue, l'air moqueurs. Les voyageurs, auparavant joyeux, distribuant sans retenue des baisers à leurs enfants dans le train, redeviennent subitement silencieux et, dans un geste inconscient, vont jusqu'à repousser les enfants, devenus encombrants, ou leur intimer l'ordre de se taire ! Entre les Tamaris et les Pins maritimes, il y a 300 m environs. Les piétons les parcourent en moins de temps que les automobilistes. Le bus progresse au rythme des embouteillages. Les usagers passent leur temps à contempler ces rails qui demeurent encore en chantier. Ils savent qu'un tram jusqu'aux Fusillés (Hussein Dey) n'est pas pour demain. Le pont des Pins maritimes est réalisé à 80%, la pose des rails à Cinq Maisons a été faite, un autre pont traversant Oued El Harrach a été créé. Seulement, il y a toujours des travaux à réaliser et, une fois le chantier levé, des essais techniques à mener. «Quand le tram ira jusqu'à Alger ?» «Ça viendra !» Djamel Chafa |