Professeur Chems Eddine Chitour : «La symbolique du 1er novembre n'existe que dans la tête des anciens»
Le Temps d'Algérie : Selon vous, que reste-t-il du 1er Novembre 1954 57 ans après, surtout pour la nouvelle génération d’algériens ?
Chems Eddine Chitour : La symbolique du 1er novembre n'existe que dans la tête des anciens. Il faut savoir que 75% de la population est née après l'indépendance.
Le glorieux parti du FLN dont la mission historique, disait Mohamed Boudiaf, devait s'arrêter en 1962, a raté l'occasion de se transformer en parti de masse, se contentant de gérer un fonds de commerce sans grande imagination en convoquant toujours les mêmes cliché : l'ennemi séculaire et les ennemis de la révolution.
Il n'a pas su faire sa mue une seconde fois après 1988, s'accrochant toujours à des invariants en termes de monopole, se coupant définitivement de la masse de jeunes, exception faite de «la famille révolutionnaire» dont on attend toujours de connaître la valeur ajoutée. Quelle est la valeur du 1er Novembre dans l'histoire de l'Algérie ? Il est important de faire comprendre aux générations qui montent que le 1er novembre est un moment important dans l'histoire du pays, à côté des autres moments qui ont jalonné les épopées des différents chefs de guerre et révolutionnaires tels que l'Emir Abdelkader,
Lalla Fatma N'Soumer, Ouled Sid Cheik. Plus loin, il est nécessaire de donner des motifs de fierté à nos jeunes en leur prouvant que l'Algérie, c'est trois mille ans d'histoire, et que la résistance, les soulèvements les Algériens connaissent cela, eux qui ont réussi à bouter hors du territoire huit envahisseurs différents étalés sur une période de trente siècles. Comment faudrait-il gérer cette date symbolique ? Il nous faut «moderniser» le 1er novembre qui doit être décliné avec les outils du 21e siècle. Une chanson est en train de circuler sur Face Book, intitulée M 22 ; un groupe de jeunes s'est emparé du message et l'explicite à sa façon, d'une façon ludique et surtout qui arrive à être comprise par les jeunes allergiques à la langue de bois.
Elle raconte en rap l'histoire des 22 Algériens qui se sont réunis dans une villa de Clos Salembier et qui ont décidé de la nécessité de la lutte armée du fait que toutes les voies du dialogue prônées par les centralistes menaient à une impasse. Cette chanson est une façon d'expliquer que la révolution, cela change du rituel sans imagination de la télé qui remet les mêmes images, les mêmes reportages depuis des décennies avec la même pesanteur et le même ennui.
Si on ne fait rien pour revitaliser cela, cette symbolique disparaitra alors que nous avons besoin plus que jamais d'un ciment fédérateur qui puisse assurer ce désir de vivre ensemble et d'aller à la conquête du futur non pas en ânonnant d'une façon impersonnelle le combat
des aînés mais en traduisant cela en nouveaux combats aussi difficiles dans un monde de plus en plus dangereux ; le meilleur hommage que l'on pourrait rendre aux martyrs, c'est de mettre en place un système éducatif et une université performante. C'est cela le 1er novembre du XXIe siècle L'écriture de l'histoire de la guerre de libération algérienne reste pour beaucoup de spécialistes un grand chantier. Que faudrait-il faire ? L'écriture de l'histoire est une question de spécialistes. Cependant il nous faut recueillir les témoignages de ceux qui ont lutté et qui sont encore en vie. Il n'y a pas d'histoire sans Vérité. Avec l'ouverture des archives, il est possible de reconstituer les zones d'ombre.
Il faut savoir enfin que l'histoire de l'Algérie, ce n'est pas simplement les huit ans de la Révolution – dernier maillon d'une série de luttes – c'est trois mille ans d'histoire qu'il nous faut assumer d'une façon sereine. Je suis sûr que cela renforcera la nation. Nous devons mobiliser les fragments d'histoire détenus aussi par d'autres pays contre lesquels l'Algérie a eu à lutter : l'Espagne, la Turquie, l'Angleterre. Le puzzle une fois établi permettra enfin de connaître l'histoire tumultueuse de l'Algérie.
Propos recueillis par Farouk B.
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